L’agriculture traditionnelle
Le Mont Chemin fut très tôt habité; l’homme défricha pour gagner des terres sur la forêt, créant ainsi de nombreuses clairières destinées à la pâture et à la culture des champs ; dans une société vivant en autarcie tout était produit sur place. Le chanvre, le lin, le seigle, le froment, l’avoine et l’orge, les fèves, les choux-raves, les pois des champs et d’autres cultures traditionnelles approvisionnaient les ménages.
Ce n’est que vers la Deuxième Guerre Mondiale qu’on vit apparaître une production destinée à la vente, à l’ «exportation» : la culture de la fraise. Malheureusement, l’eau manque sur le Mont Chemin, faute de sources suffisantes. Quelques années de sécheresse furent fatales à cette nouvelle économie et l’exode commença avec, pour corollaire, l’abandon de nombreuses terres à la forêt, qui continue de conquérir les surfaces qui lui ont été arrachées au fil des siècles.
Ce phénomène se produit au détriment des prairies maigres ou sèches dont la flore et la faune spécialisées sont également, à terme, condamnées à l’exode. Seule l’économie alpestre, répartie sur quatre alpages différents, réussit encore à gérer les pâturages de manière soutenue. Il est souhaitable, pour le maintien de la diversité naturelle et paysagère du Mont Chemin, que le soutien des collectivités publiques à l’égard de cette économie se maintienne et lui permette de subsister.
Les alpages
L’alpage est l’endroit où traditionnellement, le bétail est mis en commun pour passer l’été. De la mi-juin à la mi-septembre, après un long hiver passé à l’étable et un passage par les mayens, les vaches sont menées en altitude sur les pâturages alpestres. La présence en Valais de la race d’Hérens, cette vache à la robe sombre, à l’aspect musclé et au tempérament belliqueux, correspond à une autre particularité : les alpages y sont gérés de manière communautaire, par les consortages. Les vaches de différents propriétaires sont regroupées en troupeaux de 40 à 160 bêtes confiées jusqu’à la désalpe à la surveillance de quelques bergers. Les différents travaux étaient traditionnellement effectués par les consorts selon le système des corvées, chacun ayant l’obligation de consacrer quelques journées de travail par an pour assurer les tâches d’entretien; mais aujourd’hui le nombre de consorts a fortement diminué et les alpages sont souvent confiés à un locataire qui en assume l’entretien. Le lait est transformé à l’alpage en différents produits typiques du terroir : sérac, tomme, fromage à raclette, beurre. Chacun des alpages du Mont Chemin est attribué à l’un des villages de la commune de Vollèges : le Lein au Levron, le Tronc à Vollèges, les Planches à Vens et le Bioley à Chemin. Ensemble, ils permettent l’estivage de plus de 250 têtes de bétail.
Les vignes
Si le Mont Chemin n’est pas un haut lieu de la viticulture, il importe cependant de mentionner la présence de deux vignobles, eux aussi liés à l’agriculture autarcique traditionnelle, ceux de Bovernier et de Sembrancher. On y cultive principalement un plant de gamay qui donne, si Dieu le veut et grâce à l’appui des meilleures compétences en matière de vinification, un rouge léger agréable à boire et propice à de longues conversations philosophiques sur le passé et l’avenir du Mont Chemin. Les botanistes signalent également la présence sur le versant sud de ceps de vigne sauvage (vitis vinifera).
Le milieu agro-forestier
Un peu forêt, un peu pâturage, les deux à la fois, les pâturages boisés du Mont Chemin méritent un chapitre à part; désignés comme étant «la plus belle forêt de mélèzes d’Europe», ils attirent effectivement de nombreux touristes et font la réputation du site (fig.5).
La pratique du parcours du bétail remonte au Néolithique. Pour utiliser les pâturages, il fallut défricher. Historiquement, on distingue deux grandes phases de défrichement, celle de l’époque romaine cantonnée aux abords des zones habitées et des voies de communication, puis celle du Moyen Âge qui voit s’agrandir les alpages d’altitude par l’abaissement de la lisière des forêts.
Dès le XIVème siècle, la population et le cheptel augmentent. Les besoins en herbages sont tels qu’ils conduisent fréquemment à des conflits et, pour les éviter, à des réglementations. Ces besoins importants allaient durer jusqu’à la fin du siècle passé, conduisant à gagner de nouvelles surfaces.
C’est lors de ces déboisements successifs que furent créés les pâturages boisés, caractérisés en Valais essentiellement par le maintien du mélèze.
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Fig. 5 - Le pâturage boisé, une gestion mixte
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Mais pourquoi avoir localement conservé un couvert boisé alors qu’ailleurs tout boisement fut anéanti. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette attitude de la part de nos ancêtres :
Sur le Mont Chemin, l’âge des mélèzes témoigne d’une origine plutôt récente puisque le maximum n’excède que péniblement les 2 siècles.
Ces pâturages boisés couvrent ici près de 220 hectares; si aujourd’hui les mélèzes ne jouent plus un grand rôle pour l’approvisionnement en bois et sont souvent une entrave pour une gestion agricole rationnelle, l’ensemble constitue un patrimoine paysager unique. La préservation de ce paysage n’est garantie que si l’activité pastorale se poursuit, et si le renouvellement des mélèzes est assuré. On constate que certaines zones marginales abandonnées par l’agriculture se reboisent rapidement, alors qu’ailleurs, du fait de la présence régulière du bétail, le mélèze ne rajeunit pas.
Un programme de gestion est en cours d’application qui tend, d’une part, à éclaircir par des coupes le mélèzin pour assurer une bonne production d’herbage du point de vue qualitatif et quantitatif et, d’autre part, à rajeunir le système par des plantations de jeunes mélèzes de manière isolée et échelonnée sur le long terme.
Les milieux humides
Fig. 6 - Le Goilly du Lein, un joyau dans un écrin
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Malgré son déficit général en eau, le Mont Chemin se paie le luxe d’en rajouter au chapitre «diversité biologique» en étoffant l’inventaire des valeurs naturelles de deux petits marais judicieusement dénommés «Goilly» en patois (fig. 6).
Situés sous le Col des Planches et au Col du Lein, ils occupent des cuvettes glaciaires et ne sont alimentés que par les eaux de précipitation et de fonte.
L’évolution naturelle tend à leur faire perdre de leur valeur, soit par atterrissement, soit par manque d’eau chronique. Leur maintien à long terme implique la mise en œuvre de mesures particulières telles que débroussaillage, curage et apport d’eau artificiel.
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A la découverte du Mont Chemin
Décrire le cadre écologique du Mont Chemin en quelques pages est une gageure qui ne peut que laisser le lecteur sur sa faim. L’aspect lacunaire de cette présentation aura peut-être l’avantage de l’inciter à partir à l’exploration du site pour en savoir plus sur la faune, la flore et toutes les autres merveilles de ce bout de terre.
En juin 1998, les municipalités de Vollèges, Sembrancher, Bovernier, Martigny et Charrat ont inauguré une réalisation commune qui conduit le visiteur à la découverte des richesses du Mont Chemin : le Sentier des Mines. Le promeneur peut se laisser guider sur différents itinéraires en suivant celui qui symbolise le travailleur des profondeurs : le légendaire nain des mines qui, bavard de nature, ne se lasse pas de fournir moult commentaires passionnants.
Si le thème des mines fut choisi comme fil conducteur, la thématique traitée n’en reste pas à cet aspect; suivant les différents trous creusés à travers les siècles par l’ homme en quête de minerai, le sentier met également en exergue une nature et un paysage uniques et préservés malgré ou grâce à une activité humaine en harmonie avec le milieu qui l’accueillit. L’agriculture, la sylviculture, l’exploitation minière et le tourisme de la première heure ont donné au Mont Chemin cet aspect qu’on lui connaît et qui attire le visiteur depuis longue date. Après cette excursion, ce dernier comprendra mieux les charmes de ce milieu qui, inconsciemment, l’envoûte et l’invite au retour.
Le Mont Chemin est un paysage magique qui reflète l’action des forces gigantesques qui ont soulevé puis modelé nos montagnes, le modelage par les glaciers, la conquête par la végétation, puis le travail de générations d’hommes en lutte permanente pour leur survie et à la recherche de ressources. Grâce à la position géoclimatique de cette montagne, à son étagement altitudinal et ses multiples expositions, il s’est recouvert d’une tapisserie forestière qui frappe par sa grande diversité; hêtre, chêne, sapin, épicéa, mélèze et pin colonisèrent les recoins de ses versants dès le retrait des glaciers il y a 10’000 ans.
L’homme a taillé dans ces forêts pour y créer des mayens, des champs et enfin les magnifiques pâturages boisés. Suivant les sentiers d’antan qui conduisaient l’homme au labeur, le randonneur d’aujourd’hui découvrira les reliques de ces cultures en terrasses où poussaient le lin, le chanvre et d’autres cultures traditionnelles. Son pas le plongera dans l’atmosphère feutrée de la sapinière puis dans les senteurs provençales de la pinède. Il découvrira ces forêts qui ont fourni le bois de construction des demeures, le bois de mine pour l’étayage des galeries, le combustible pour les foyers et la fonte du minerai, qui protègent les voies de communication tout en symbolisant la «nature vierge» dans l’inconscient collectif.
Même si les hôtels de luxe construits vers 1900 ont disparu, la nature du Mont Chemin, sous influence humaine depuis des siècles, continue d’attirer une foule de touristes; ceux-ci auront tout loisir, assis au pied d’un de ces majestueux mélèzes qui couvrent le pâturage, de s’interroger sur ce que serait le charme du Mont Chemin sans cette quête permanente de ressources; et si le mineur, le bûcheron, le paysan y étaient pour quelque chose…
Agir ou s’abstenir ? De la réponse à cette question dépend l’avenir de certains de nos paysages.
Sommet de page
"Le cadre écologique du Mont Chemin"
Auteur : Olivier Guex
Ingénieur forestier
1927 Chemin
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